Nous survolons le Mali. Des perturbations dans le ciel, c’est l’orage et nous sommes bien secoués. Quelques passagers prient, d’autres crient, d’autres sourient. Un moment passe où on se sent ensemble, solidaires, tous dans le même bateau ; enfin, le même avion. Au Mali, on l’appelle la pirogue du ciel (sankunu en Bambara)
Il fait nuit, il fait chaud.
Nous passons les contrôles d’entrée au pays. Comme en France, plusieurs guichets… d’une part pour les Maliens et d’autre part pour les étrangers.
Vers les tapis de bagages nous apercevons des hommes et des femmes qui font signe de tous côtés pour accueillir, leurs amis, leurs amies, leurs frères, leurs sœurs, des parents.
J’aperçois mon ami, mon « frère » toubib toubabou qui nous attend avec nos hôtes. Les « blancs » sont appelés Toubabou justement parce que beaucoup des premiers venus sur cette terre étaient médecins, hommes et femmes en blouse blanche. Avec l’amie qui m’accompagne, nous ne connaissons rien, ni le pays, ni les gens, ni les coutumes, juste quelques photos et quelques clichés d’un pays d’Afrique ; l’étranger.
Les amis Maliens de notre ami nous ouvre les bras au sens propre, comme au sens figuré ; accolades, sourires, chaleur. Nous étions des inconnus cinq minutes avant, nous nous sentons en famille, frères et soeurs. C’est un des premiers mots échangés. « Toi, tu es un petit, tu es mon petit frère, dogoni (mon petit), et toi ma sœur (dogomousso). »
Puis, viennent d’autres rencontres, à manger ensemble dans le même plat, sans couvert, avec les mains après se les être lavées soigneusement. Certains tiennent le bol, afin que le plat ne glisse pas et que tous puissent manger à leur rythme. Les uns et les autres s’arrêtent progressivement de manger puis les restes seront donnés aux enfants ou au gens de la même cour. Dans les cours de ces quartiers plus populaires, se regroupent plusieurs familles qui ont appris à vivre ensemble, partager le puits, les toilettes à ciel ouvert où l’on fait ses besoins et où on se lave avec un seau d’eau. Accueillis, dans la cour, des amis nous préparent le seau d’eau et le gobelet, avant que l’on puisse s’accoutumer et puiser nous même et rencontrer les personnes qui vont chercher l’eau. Encore faut-il se lever assez tôt, au petit matin, moment des rencontres à l’éveil de la journée.
Après quelques jours, dans les échanges, nous avons appris quelques salutations. Les gens sont heureux d’entendre leur langue maternelle et nous adoptent à leur manière. Ils nous demandent notre prénom. En entendant la réponse, ils semblent amicalement en désaccord :
« Hé non ! Il te faut un prénom malien là, tu es chez nous ! » Les propositions fusent, mon amie accepte de se faire appeler Fatoumata ». Je préfère attendre un peu pour avoir un nom dont je connais un peu plus les racines et avant de défendre cette histoire de famille qu’il m’est proposé de vivre. Plus tard je choisirai de m’appeler N’Golo. Ce prénom m’est cher il dit, « je dis ». N’go ou N’ko a été la racine que l’empereur Mandingue Soundiata Keïta a choisi pour appeler et rassembler les ethnies qui avait ces mots pour dire « je dis » et l’affirmation d’une parole commune malgré les différences ethniques : mandingues, bambaras, dioulas, etc.
Puis mes frères et sœurs malien m’ont également demandé mon nom : Traoré. Un nom d’une corporation de cultivateurs des villages. Pour moi de famille de cultivateurs, je me retrouvais dans ce nom de villageois, « vis la joie ».
Avec un nom de famille se joue toutes les relations de cousinades à plaisanterie. D’après le nom, les gens situent l’histoire contée par les griots (les musiciens porteurs des traditions et des narrations de l’histoire ancestrale du pays). Avec ce nom, les gens retracent l’histoire, se racontent des blagues, jouent avec les mots et rappellent une histoire de groupes qui ont été unis dans des familles ou qui ont lutté les uns contre les autres. Une manière apaisée de se dire l’histoire pour vivre bien le présent ensemble afin de ne pas subir les tabous des blessures mais en acceptant ce qui a été pour vivre en paix dans l’amitié, la fraternité entre ceux qui se croisent et qui vivent ensemble sur la même terre.
Par exemple, en tant que Traoré, j’étais un cousin, ami proche des Dembélé et les Diarra pouvaient dire de moi que j’étais jadis leur esclave qu’ « ils avaient appelés » (O tara wélé- Traoré). Et réciproquement, en tant que Traoré je pouvais dire d’un cousin Diarra qu’il était le Lion (diawara) dont j’avais gardé le bout de crinière en le domptant. Disant ainsi, dans la plaisanterie, je pouvais couper un mini fil de ma chemise pour lui montrer sa crinière. Rentrant dans le jeu traditionnel de reconnaissance, la personne que je rencontrais était ma sœur, mon frère et je devenais son frère, si différents mais de la même famille dans cette rencontre.
N’Golo TRAORE