Repas-débat: Aujourd’hui lire dans les pensée? Demain augmenter notre potentiel ou télécharger l’esprit?

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Repas-Débat avec Jean Michel Hupe, chercheur en neurosciences au Centre de Recherche Cerveau et Cognition

Restitution par Gisèle Verschelde

 

– L’intelligence artificielle, le cerveau qui commande une voiture par télépathie, pourquoi on en arrive là ? On a déjà tellement de soucis pour se parler entre frère et sœur, avec ses parents ! Aller chercher plus compliqué, ça va profiter à une classe sociale riche mais nous, ça va être l’exclusion.

 

– Si on ne se parle plus c’est de notre faute. Tout le monde est là sur son portable ! Je ne suis pas contre les nouvelles technologies mais à un moment donné, il faut faire un tri. Mon portable, je le laisse chez moi, autrement je ne peux plus observer, écouter, entendre, tous ces plaisirs là … Je veux rester disponible et libre. Si on ne fait pas cet effort, on ne se parle plus, alors c’est la guerre.

 

– Peut-on lire nos pensées ?

 

– Que peut-on faire aujourd’hui avec le cerveau ? On arrive à corréler tel mouvement et telle zone du cerveau pour les personnes paralysées dont le cerveau est intact mais la moelle épinière atteinte. La personne va imaginer faire un mouvement et avec une petite boite au niveau du cerveau, elle va arriver à piloter un bras. Donc les promesses sont énormes, entre l’envie de guérir des associations de malades, et le désir de sauver des chercheurs.  Mais on ne comprend pas comment ça fonctionne.

 

– La maladie d’Alzheimer : maladie ou vieillissement normal dû à l’âge ?

 

– La plupart des chercheurs penchent pour la maladie. Aux USA on donne beaucoup de médicaments aux malades atteints d’Alzheimer, sans résultats. Les raisons légitimes, c’est le désir de soulager le malade, les raisons illégitimes ce sont les intérêts des labos pharmaceutiques. Ceci rejoint le transhumanisme : on scanne le génome, ce sont des entreprises privées qui font ça, et on va faire des probabilités d’avoir la maladie. D’abord, je veux savoir ou non ? Poser la question c’est terrible. Imaginons que je ne veux pas avoir ce choix. Mais ma compagnie d’assurance fixera ses tarifs en conséquence, et je me soumettrai au test pour payer moins.

 

– Les chercheurs font-ils des erreurs ?

 

– Dans la recherche comme partout ailleurs, il y a des enjeux de pouvoir, et les scientifiques, comme tout le monde, peuvent se tromper, et dire de grosses bêtises, et certains de leurs résultats sont faux. Le problème dans notre société, c’est que l’on donne la parole à des gens hauts placés ou des experts, et comme ils ont un titre, dans la tête des gens ils ne peuvent pas se tromper.

 

– Quel est l’impact de l’image sur le cerveau ?  Le cerveau sature par la surinformation. Les médias ont compris tout ça. Ça devient de la manipulation de masse. Nous sommes conditionnés.

 

– Saturation du cerveau, je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire. On a quelques idées précises sur comment on forme les images, mais comment ça s’organise dans notre tête au niveau du cerveau on ne sait pas. Le cerveau est formé de milliards de neurones, l’information passe de neurone en neurone par de petites connexions, les synapses. ll existe un principe de plasticité cérébrale, c’est à dire d’adaptation. Si on répète l’information (image) à un neurone, et que le neurone suivant reçoit l’information, la connexion entre les neurones se renforce : notre cerveau est une énorme machine à s’adapter. C’est ce qui permet à un enfant de comprendre son environnement. Si on vous met dans un monde virtuel, on vous expose à des images sur ordinateur, votre perception va s’adapter à cette réalité, elle va comprendre ses régularités et ses irrégularités.  Si on répète tout le temps la même chose, ce qui est répété, on finit par y croire. C’est le principe de la publicité, basée sur la répétition. Mais on peut prendre conscience des choses, on peut faire des choix.

 

– Et au niveau religieux est-ce que c’est pareil, par exemple lire tout le temps la bible et le coran ?

 

– Au niveau religieux, ça peut être pareil, ceci dit, je n’ai aucune compétence dans ce domaine, ma position est déjà biaisée par mon opinion personnelle et puis aucun chercheur de par la position qu’il occupe n’est porteur de la vérité, un chercheur n’a pas plus d’autorité qu’un autre pour parler de quoi que ce soit.

 

– Ceux qui disent que les religions conditionnent, ne sont-ils pas eux aussi conditionnés ?

 

– Bien sûr. Le chercheur étant conditionné, il véhicule aussi les valeurs de sa société. Notre science est bâtie sur un mythe scientifique qui a été construit au 19eme siècle, c’est la pensée positiviste ou scientiste, persuadée qu’on va pouvoir résoudre grâce à la technologie, tous les problèmes de demain. On devrait être modestes par rapport aux conséquences de nos recherches. On est formé pour chercher mais sans avoir a réfléchir aux conséquences. C’est l’exemple de la bombe atomique.

 

– Longtemps les scientifiques n’ont pas fait l’analyse politique des situations. 

 

– Pour moi le plus important, c’est que la société civile ait son mot à dire sur ce sur quoi on cherche et pourquoi, et pas seulement les politiques et l’industrie ou les plus riches. Actuellement, si on remet ça dans le cadre de l’intelligence artificielle et du transhumanisme ; où est l’argent pour la recherche ? Dans les GAFAM, toutes ces industries de l’internet qui ont fait en quelques années des profits prodigieux, ont acquis un pouvoir énorme et qui créent un discours pervers. Ils se présentent comme des lanceurs d’alerte : avec l’IA on va dépasser l’intelligence humaine, et si on crée une intelligence supérieure, elle va nous trouver bête et va chercher à nous éliminer, et donc il y a un risque plus important que le changement climatique et les problèmes écologiques, c’est le risque de se faire éliminer par une IA supérieure, donc il nous faut des sous et des chercheurs. Ce discours est complètement très dangereux. Pour moi, le vrai progrès il est social, et humain.

 

– Quel est l’impact des technologies sur l’humain ? Est-ce forcément un facteur de progrès ?

 

– Il y a une accélération de l’impact des technologies. Depuis quelques années, tout explose dans les rapports humains, l’invasion du téléphone portable bouleverse notre rapport à l’autre. On ne reviendra pas en arrière, mais on peut essayer de faire un pas de côté : par exemple boycotter Facebook ou Amazone ! Collectivement, on peut essayer de faire autrement. Pour moi, la seule solution rationnelle c’est la décroissance.  On est révolté par la souffrance, la maladie et la mort et le transhumanisme trouve sa source dans le projet du siècle des Lumières qui imaginait que le progrès des technologies allait éradiquer cela. Le transhumanisme est l’enfant de l’humanisme. Le progrès est devenu la religion dominante sur terre, on se prend pour Dieu, on veut éradiquer la maladie et la mort. Mais c’est puéril, on est mortel, on a des maladies. Et le mieux c’est de l’accepter.

 

– Est-ce qu’il y a une vision partagée sur la conscience dans la communauté des neuro-scientifiques ?

 

– Il n’y a pas de consensus là-dessus, on n’a aucune idée scientifique sérieuse concernant l’émergence de la conscience. Il n’y a pas que le cerveau, on a un corps, on a des émotions, c’est très complexe.  Mais ce n’est pas grave, ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas de réponse, qu’au niveau technologique on n’avance pas des solutions ! On propose des traitements à une maladie alors qu’on ne comprend pas ce qui se passe.  Au niveau de la procréation, on revient à la démarche eugénique du 19eme siècle, qui est encore le produit des Lumières. Par refus de notre condition tragique, on va vouloir faire des humains améliorés, en prenant par exemple des cellules de peau et en les transformant en gamètes, qui serviront à sélectionner des embryons normés. Les personnes qui refuseront la sélection seront stigmatisées si leur enfant a tel handicap, considérées comme responsables, et ne recevront pas d’aide. C’est un scénario possible. L’impact social des technologies est énorme, même si les chercheurs n’ont pas trouvé d’explications à tel ou tel problème qu’ils cherchent à résoudre.