« Les femmes savent mieux prendre soin des enfants ou d’un parent âgé que les hommes. » « Un homme a naturellement plus d’autorité qu’une femme. » « Les femmes sont moins attirées par le pouvoir que les hommes. » « Les métiers de force sont des métiers d’hommes. » « Les femmes sont souvent absentes pour s’occuper des enfants malades. »
Qui n’a jamais entendu ou prononcé une de ces réflexions ? Savons-nous qu’elles relèvent de stéréotypes culturels et non pas d’une vérité universelle ? Avons-nous conscience que ces stéréotypes ont des incidences importantes sur les inégalités professionnelles ?
Ces stéréotypes culturels ancestraux ont probablement eu leur utilité depuis les premières sociétés préhistoriques, mais ne sont-ils pas devenus aujourd’hui des obstacles à l’épanouissement des individus, mais surtout à la libération du plein potentiel des formes d’organisation sociale modernes, des collectifs actuels, constitués par les représentants du genre humain à l’ère contemporaine ?
En France, ces stéréotypes ont été légalisés dans le Code civil de 1804, qui stipulait que « le mari doit protection à la femme, la femme doit obéissance à son mari » et consacrait l’incapacité́ juridique de la femme mariée dans son article 1124 : « les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux ». On revient de loin… Depuis moins de cinq ans, les femmes jouissent en théorie de la reconnaissance légale de leur « égalité réelle » avec les hommes ; les femmes mariées ayant dû attendre jusqu’en 1965 pour avoir le droit de travailler sans l’autorisation de leur mari !
Mais les stéréotypes culturels continuent, aujourd’hui encore, de peser sur les inégalités entre les femmes et les hommes face à l’emploi et la reconnaissance salariale, que ce soit sur le temps de travail, le cantonnement sur des métiers moins rémunérés, la sous-représentation dans les métiers mieux valorisés, jusqu’à l’écart salarial inexpliqué – car inexplicable ! – entre les femmes et les hommes. Il est donc nécessaire, aujourd’hui de mettre au jour ces stéréotypes, pour que nous en prenions collectivement conscience, afin d’arriver enfin à les déconstruire. Cela permettrait de rétablir graduellement et concrètement, pas seulement dans la loi mais dans la réalité quotidienne, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Déconstruire ces stéréotypes, c’est tout d’abord comprendre qu’ils sont socialement construits et non pas naturels. Le cerveau des femmes est biologiquement identique à celui des hommes (à l’exception de l’hypothalamus, qui contrôle les fonctions de reproduction). A la naissance, seulement 10% des neurones du cerveau sont connectés. Les 90% restant se connecteront progressivement en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue.
Le stéréotype engendre un cercle vicieux : la norme sociale qu’il prescrit, enjoint hommes et femmes à se conformer aux comportements normalisés selon leur sexe, et ce conformisme social renforce la norme établie. Cela commence dès le jardin d’enfant, avec les jouets designés selon un marketing sexué dont l’objectif est le déclenchement de l’acte d’achat en s’appuyant sur la stimulation des ressorts psychologiques des normes sociales préexistantes. Cela continue dans l’orientation scolaire et l’autocensure des jeunes au seuil de l’entrée dans la vie active, tant pour les femmes que pour les hommes, dans leurs premiers choix de vie à l’âge adulte. Nous ne pouvons plus ignorer, aujourd’hui, à quoi cela conduit, en termes d’inégalité entre les femmes et les hommes, et nous pressentons que cela devient de moins en moins acceptable dans nos sociétés contemporaines.
Alors concrètement, comment déconstruire ces stéréotypes ? Touchant à l’identité même de tout un chacun, les stéréotypes de genre sont difficiles à combattre. Le sexisme ordinaire passe encore souvent inaperçu, quand il n’est pas source de plus-value d’audimat, tant dans la vie privée que dans les médias publics. Il y a, et il y aura encore pour quelques temps, des coûts de transaction non-négligeables : hommes et femmes y perdront d’abord de leur confort social actuel, avant de bénéficier mutuellement d’améliorations de leurs conditions de travail (diversité des métiers, positionnement hiérarchique, articulation vie privée/vie professionnelle).
Des démarches proactives sont nécessaires pour rompre les boucles de rétroaction, au sein des entreprises notamment, en relais de l’action publique : fixer des objectifs quantitatifs et qualitatifs visant à réduire les écarts identifiés (par exemple, la sous-représentation relative des femmes au sein d’un métier, ou d’une catégorie socio-professionnelle), allouer des moyens pour la réalisation de cet objectif (favoriser la promotion ou le recrutement des femmes sur tel ou tel métier), et planifier le tout dans un calendrier défini.
Par exemple, à propos des horaires de travail et de la culture du présentéisme, un homme pourra témoigner : « Le présentéisme le matin ne sert à rien puisque le Manager n’est pas là pour le voir. Donc, ce n’est pas un problème pour les papas de conduire les enfants à l’école le matin. Par contre, c’est un problème pour les mamans d’aller les chercher en fin d’après-midi. » Et une femme de compléter : « Je fais 8h-17h, avec une pause déjeuner, la plus courte possible. Si je faisais 9h30-18h30, ce serait beaucoup mieux perçu. Je suis considérée comme moins disponible. Les collègues masculins boivent le café, et moi je manque les infos non officielles… »
Il convient d’encourager les hommes à prendre en charge une part plus importante des tâches domestiques, à l’assumer socialement, en les rassurant quant à leur trajectoire professionnelle. Il faut également favoriser la confiance des femmes dans leurs potentiels professionnels, sans les contraindre à incarner les stéréotypes masculins. Il faut rendre visible la discrimination, ridiculiser le sexisme et dégonfler les stéréotypes par un argumentaire à étoffer : le secteur du nettoyage, très féminisé, est un métier très physique, de même que le métier d’aide-soignant ; les congés maternités ne devraient pas être un obstacle au parcours de carrière, ce ne sont en moyenne que 2 fois 4 mois d’absence sur 40 ans de vie professionnelle, soit moins de 2% de la durée de la vie active.
Et vous, quel stéréotype de genre parviendrez-vous à dépasser ?
Timothée Hornus